L'important, disait-elle, c'est de s'habituer à un visage : pas la beauté, mais l'habitude. Au fond, qu'est-ce que la beauté, sinon une stupide histoire de géométrie, un encastrement heureux dans un échantillonnage des bouches, nez et oreilles disponibles ? Quand un visage vous est familier, qu'on l'a vu ensommeillé, enrhumé, dévasté par une mauvaise journée, bref, quand on y est
habitué, on a surmonté le problème de la beauté, tu ne crois pas ? Tout en discourant elle fumait deux, trois ou quatre cigarettes dont la cendre échouait en partie seulement dans une soucoupe à café, sur le bord de la baignoire. Son discours aussi s'échappait de toutes parts. Les fumeurs, pensais-je, peuvent être répartis en deux catégories, ceux qui font attention au destin de leur cendre et ceux qui s'en moquent totalement. Les seconds ont en général l'habitude de gesticuler. Les premiers ont tendance à se gâcher l'existence en se souciant trop des opinions d'autrui et des conséquences de leurs propres actes. Je connaissais bien cette catégorie d'individus : ils approuvent tout le monde et quand ils se disputent avec quelqu'un, finissent par en dire plus qu'ils n'aimeraient en avoir dit et présentent leurs excuses de manière sentimentale. Ces gens-là écrasent non seulement leurs mégots, mais aussi ceux des autres qui gisent dans des soucoupes qu'ils se dépêchent de laver. Les étourdis, eux, montrent peu à peu d'autres signes de négligence. Un manque de soins pour leur personne, qui constitue également une forme de distraction. Ils se heurtent aux meubles, ils se font mal tout seuls. Telle était Sofia.
Sofia s'habille toujours en noir ( Paolo Cognetti ) ( 2012 ) p 201 ( éditions Liana Levi )