mercredi 18 juillet 2018

Jeanne D'Arc - Joseph Delteil


  De nouveau, on chevauche dans les labours, dans les luzernes. Le roulis des chevaux imprime au cœur des mouvements d'allégresse. Les sabots des bêtes sonnent, et les hommes puisent dans ce rythme une étrange sécurité. Rien n'apaise l'âme humaine comme une sorte de balancement, une cadence un peu monotone. Le calme est fait d'oubli, et la joie participe du néant.
  Le soir vient. La troupe est lasse. Le firmament, au moment de disparaître, s'enfouit dans la poitrine des hommes. Maintenant, on va en silence. On longe un taillis d'épines, on suit un chemin à charrettes. Les chevaux hennissent à tour de rôle, et leurs hennissements sont coupés de grillons et de chouettes. La nuit arrive à marches forcées. Bientôt, le terrain devient plus sec, plus rocailleux, et soudain les chevaux, à grands coups de sabots, font jaillir tout un ciel d'étoiles ...
  Il va falloir s'arrêter, dormir. Toutes les âmes s'émeuvent. C'est la première fois que ces hommes vont s'étendre dans l'immensité, coucher avec la nature. La nuit, la nature est une grande bête nue ...
  On choisit un bois de hêtres. On s'arrête. On attache les chevaux aux arbres. Le vent court de branche en branche, avec sa grande voix végétale. Les serviteurs allument un feu de ramilles. La flamme monte, jetant de vastes taches sur la robe des chevaux.
  On fait cuire des œufs dans la cendre. On mange. Mais l'appétit est maigre. L'obscurité se fait de plus en plus lourde. Un peu d'angoisse se glisse dans les coins. La fatigue peut-être ! Un vague regret aussi, le regret de la maison chaude, de l'horizon intime. Poulangy, par bravade, siffle. Richard jette des branchages dans le feu. Les chevaux font un décor d'encolures.


Jeanne D'Arc ( Joseph Delteil ) ( 1925 ) pp 52-53 ( Les Cahiers rouges / Grasset )




6 commentaires:

  1. C'est remarquablement bien écrit.
    J'aime particulièrement cette phrase:
    «Rien n'apaise l'âme humaine comme une sorte de balancement, une cadence un peu monotone. »
    C'est tellement finement observé...
    ¸¸.•*¨*• ☆

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  2. Une écriture que j'ai adoré, faite de combinaisons inédites. Une Jeanne D'Arc inoubliable ...
    Moi j'aime beaucoup aussi que cette troupe "couche avec la nature, cette grande bête nue la nuit".
    Bises Célestine.

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  3. Mais cela fait des lustres que j'ai lu des livres de Joseph Delteil ! On en parle si rarement. Merci pour ce rappel et bon week end.

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  4. Et bien moi je n'ai jamais lu Joseph Delteil. Je n'avais même aucune idée de ce qu'il a écrit mais c'est très fort effectivement. As-tu lu beaucoup d'autres oeuvres de lui?

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  5. C'est une découverte assez récente pour moi. C'est le deuxième livre que je lis de lui. Il mériterait qu'on parle plus de lui, c'est sûr. Don écriture est tout à fait singulière.
    Merci beaucoup de votre visite Marie. Bon weekend à vous aussi. A bientôt.

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  6. C'est le deuxième livre de Delteil que je lis. J'ai lu aussi Sur le fleuve Amour. J'ai découvert Delteil grâce à ses liens avec Miller. Il a au début été proche des surréalistes avant de rompre brusquement pour se retirer dans la région de Montpellier.
    Je vais essayer de m'en procurer d'autres.
    À bientôt Claude.

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