samedi 25 février 2023

La dissipation - Nicolas Richard



L'ancienne petite amie se doutait de quelque chose


Il lui arrivait de disparaître de la circulation - pendant des jours, des semaines il s'absentait de son bungalow sur le Strand. Il ne donnait pas d'explications, pas de nouvelles. On n'y voyait rien de spécialement anormal.
   P entrait dans votre vie et un beau jour en ressortait, et on ne savait pas s'il allait réapparaître. On n'aurait peut-être plus jamais de ses nouvelles, ou alors il vous passerait un coup de fil de deux heures. Je me souviens d'avoir téléphoné à une copine et de lui avoir dit : Je crois qu'il y a un truc qui cloche chez lui. Après toutes les blagues que j'avais faites à son sujet, je l'appelais "Agent P", "mon colonel", tout ça ... J'ai relevé des détails qui ont commencé à me mettre la puce à l'oreille. J'ai creusé un peu, une fois ou deux j'ai cru le coincer pour de bon, mais je finissais toujours par lui trouver de bonnes excuses. Après, je m'en voulais de l'avoir soupçonné, je me persuadais qu'il était juste parti quelques temps faire des recherches pour un roman. Ça l'amusait qu'on tombe dans le panneau. C'est la période où il transformait notre bande de la plage en zone de l'Allemagne en guerre. Il prenait un accent caricatural pour tourner en ridicule, avec une infinité de variantes, la formule de Morris Dickstein, "la notion à la fois réjouissante et menaçante que les choses ne sont pas ce qu'elles semblent être, que la réalité est mystérieusement sur-organisée et peut être décodée, qu'il suffit pour cela d'être attentif aux centaines de petits indices et éléments annexes qui nous font signe".

La dissipation - Nicolas Richard - 2017 - Éditions Inculte
p 99

dimanche 12 février 2023

samedi 11 février 2023

Crise d'asthme / Un homme sans tête et autres nouvelles - Etgar Keret


Les gens creux 
    ( Nouvelle extraite de Crise d'asthme )

Quand j'étais petit, toutes sortes de gens venaient frapper à notre porte. Mon père regardait dans l'œilleton mais n'ouvrait pas. Les gens frappaient et frappaient à la porte sauvagement, et j'avais un peu peur. Mais mon père venait toujours s'étendre à côté de moi sur le tapis, ou s'adossait au piano et me serrait très fort dans ses bras. "N'aie pas peur, me chuchotait-il, tu n'as rien à craindre, c'est des gens creux." Puis il murmurait à mon oreille : "Shifman, ouvre la porte. Nous savons que tu es là", et une seconde plus tard, les gens répétaient à voix haute ce que mon père venait de me chuchoter à l'oreille. Alors ils faisaient plusieurs fois le tour de la maison, essayaient d'ouvrir les stores de l'extérieur, mon père chuchotait près de moi, et eux chuchotaient dehors, comme un écho. "Tu vois, disait mon père, il n'y a rien à craindre. Ce sont des gens creux, sans corps, sans rien, à peine des voix." Et il recommençait : "Nous reviendrons, Shifman, faut pas se frotter a nous." Et eux, dehors, répétaient. Puis ils revenaient de nouveau, et nous nous cachions de nouveau.
   Et ma mère est morte sans voix mais avec un corps, et nous sommes allés l'enterrer. Nous avons emmené avec nous un homme pour la pleurer, et mon père m'a montré dans le livre le passage exact des pleurs, parce que cet homme-là aussi faisait partie des gens creux. Pendant une semaine tout a été calme, puis ils sont revenus. Nous avons continué de nous blottir dans le coin, parfois c'était mon père qui disait ce qu'ils allaient dire, parfois c'était moi. Et j'étais étonné d'avoir eu si peur autrefois, alors qu'aujourd'hui mes mots me revenaient d'eux comme une balle de tennis lancée contre un mur. Comme ça, sans rime ni raison. Mon père aussi est mort dans le coin là-bas près du piano, pendant que je le serrais dans mes bras comme il me serrait dans les siens lorsque j'avais peur. Il s'est tu quand nous l'avons descendu dans la tombe, il s'est tu quand l'homme a pleuré là où dans le livre je savais qu'il pleurerait, et il a continué de se taire quand nous l'avons recouvert de terre. Et je me suis tu aussi après lui parce qu'après tout j'étais sans doute moi aussi un des leurs.





Crise d'asthme ( 1994 ) Éditions Babel / Un homme sans tête et autres nouvelles ( 2003 ) Éditions Actes Sud - Etgar Keret 

mercredi 8 février 2023

Le sketch préféré de Rami et Bassam

Je pense qu'il n'y a pas besoin de traduction. Pourquoi ne pas favoriser un peu le coureur israélien dont le gabarit jure avec celui de ses adversaires ? Quelques mètres d'avance, un signe avant le départ ? ...

Extrait de l'émission Hahamishia Hakamerit, voici le sketch préféré de Bassam Aramin et Rami Elhanan, leur private joke aussi : "Les juifs n'ont-ils pas assez souffert comme ça ?"
Il est retranscrit dans le livre de Colum McCann. Son auteur est Etgar Keret.







lundi 6 février 2023

Apeirogon - Colum McCann



355

  Plus tard, Petit raconta que, sans raison particulière, il avait mis le pigeon dans la poche de la jambe israélienne de son pantalon. Sur les manches de sa tenue, les couleurs étaient inversées, si bien que, quand il mettait une main dans sa poche, on aurait dit qu'un territoire s'enfonçait dans l'autre.

356

  Malgré sa mauvaise vue - et bien avant d'être opéré pour sa dégénérescence maculaire -, Moti Richler assista à la traversée et se posta au fond de la vallée pour tenter d'apercevoir Philippe Petit. 
  Le câble était plus long que celui qu'il avait surveillé à la guerre de 1948, et il suivait une direction légèrement différente, mais cela n'avait pas d'importance : il était ravi qu'on se souvienne du câble.
  Il attendait parmi la foule en bas de la pente. Il entendait presque le bruit rauque de sa moto se déplaçant au fond de la vallée, pendant la guerre.

357

  Quarante mille personnes, dit-on, ont vu Petit traverser ce qui s'appelait jadis le No man's land.

358

  Rami aussi : il portait Smadar, âgée de trois ans, sur ses épaules.

359

  Bassam était en prison.


Apeirogon ( Colum McCann ) ( 2020 ) Éditions 10/18. 
pp 224-225




Philippe Petit - Jérusalem 1987.

dimanche 5 février 2023

Album de la semaine #52

Rain dogs - Tom Waits - 1985 Extrait : Downtown train Voilà, c'est le dernier post de ce blog. Merci à tous les visiteurs, merci pour to...